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Hash

© Piero Tauro

Écrit par Bashar Murkus et l’équipe du projet. Mis en scène par Bashar Murkus, Khashabi Theatre (Palestine). Jeu Henry Andrawes. Vu le 11 novembre au Studio-Théâtre de Vitry – A voir, du 22 au 27 Novembre 2021, au Théâtre de la Ville/Paris.

Hash est présenté dans le cadre du Focus sur la création artistique dans le monde arabe. Élaboré par Nathalie Huerta, directrice du théâtre Jean Vilar à Vitry et Ahmed El Attar, directeur du festival D’Caf/ Downtown Contemporary Arts Festival, au Caire, en partenariat avec l’Association Arab Arts Focus de Paris et Orient Productions au Caire, et avec La Briqueterie-CDN du Val-de-Marne et le Studio-Théâtre de Vitry. (cf. notre article sur deux chorégraphies présentées dans ce même « Focus » : Fighting de Shaymaa Shoukry et Hmadcha de Taoufiq Izeddiou).

L’espace est étroit et l’Homme… bien en chair, bordé d’une épaisseur de coussins qui décale sa silhouette, taille XXL970. Boulimique ? Sûrement. Il lorgne sur une dizaine de bananes qui le tentent et qu’il ne mangera qu’à la fin du spectacle. Agoraphobe ? Peut-être, et d’autant quand il n’y a nulle part où aller. Il vit dans un présent bien étrange, entouré d’objets extravagants posés au sol, flacons et bocaux de verre, certains remplis d’eau aux mélodies cristallines, d’autres de secrets, d’autres encore de petites lumières qu’il allumera au fur et à mesure. Une poétique du lieu, si évident, si simple. Mais quelle goutte d’eau aurait fait déborder le vase ?

L’Homme tantôt exécute quelques gestes qui lui sont dictés par une puissance a priori suprême, tantôt s’interroge. On lui pose des questions auxquelles il tente de donner réponse, passe de la porte à la fenêtre comme un somnambule pour suivre les ordres qui lui sont donnés par la bande son : « Va à la porte… Entends-tu quelqu’un ? Alors change de place… On ne doit pas t’entendre… » Puis il s’enregistre et les pistes se superposent, questions et réponses se mêlent. L’air pour lui se raréfie. Comme un poisson sans branchies, il cherche le sien. Comment reprendre souffle dans ce quotidien mort, ces diktats et ces gestes répétés ? L’espace à ses yeux semble diminuer, au fil des minutes, car lui, enfle. Il espère bouger encore, se lever, marcher et puise dans ses dernières forces. A chaque moment il semble au bord du vide.

Son ordi face à lui, à son tour il donne ordre et déclenche des images avec lesquelles il dialogue sur différents écrans en forme de maison, ou de maison inversée, symbole s’il en est pour la Palestine. Par un cliché on traverse l’enfance comme avec la danse du tout jeune garçon qui sur écran lance des cuillères et l’acteur sur scène qui lui emboîte le pas.  Il y a de fulgurantes percées poétiques tout au long du spectacle. Par un mot, une image, la focale se décale et nous emmène loin. « Je suis un lion » trouve-t-il la force de dire, un loup paraît sur les images. Dans sa tête affluent les sensations, les émotions, dans la nôtre aussi.

Puis l’Homme s’installe sur une chaise sur laquelle est posée un coussin. Les fantômes affluent comme celui d’un amour perdu. Il fait revivre une femme par les quelques objets qui l’entourent : récit volontairement incompréhensible, qu’on suit par la désespérance de sa gestuelle. Ce coussin dont il se recouvre la tête devient un accessoire actif, on se demande s’il souhaite ou s’il attend la mort. Un micro sur pied lui sert de mannequin et il crée cette figure idéale peut-être, un temps, avec qui il engage un tango, sur les quelques notes d’un accordéon.

On suit l’Homme dans ses fantasmes, ses mirages et ses peurs dans une extraordinaire économie de moyens. L’acteur – Henry Andrawes, cofondateur en 2015 et membre du Khashabi Theatre, collectif de créateurs palestiniens de théâtre, installé à Haïfa – est tout aussi extraordinaire, quelqu’un de rare qui crée la poésie de l’espace et donne de la profondeur, l’air de rien. Il porte le concept imaginé avec Bashar Murkus et l’équipe du projet, et si l’on demande au metteur en scène « Qui est Hash, quelle est son histoire ? » comme dans la fiche de salle, il dit : « Je ne connais pas la réponse à cette question. Hash porte des histoires sans fin, sans en spécifier une. Vous ne trouverez pas d’histoire dans cette pièce, mais vous trouverez les traces et les blessures d’une histoire. » On pourrait y ajouter un H majuscule car derrière s’inscrit, comme Mahmoud Darwich l’a si bien transmis, la Palestine comme métaphore : « J‘ai trouvé que la terre était fragile, et la mer, légère ; j’ai appris que la langue et la métaphore ne suffisent point pour fournir un lieu au lieu… n’ayant pu trouver ma place sur la terre, j’ai tenté de la trouver dans l’histoire. » Hash est aussi un voyage vers une géographie perdue, un pays d’ombres et de lumières, un monde d’aujourd’hui vidé de sens et sur scène, modeste et royale, c’est aussi la parole et le geste du hakawati, le conteur. A voir absolument !

Brigitte Rémer, le 22 novembre 2021

Avec Henry Andrawes – scénographie Majdala Khoury – vidéo Nihad Awidat – création lumière Moody Kablawi, Muaz Aljubeh – chorégraphie Samaa Wakim – traduction Lore Baeten

Jeudi 11 novembre à 16h, au Studio-Théâtre de Vitry – 13 et 14 novembre Théâtre Alibi – 22 au 27 Novembre 2021, au Théâtre de la Ville/Paris – Autre spectacle du Khashabi Theatre en tournée : The Museum, 18 et 19 novembre au Théâtre des Treize Vents, Montpellier, dans le cadre de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée – 9 au 18 décembre, à Haïfa – 20 au 22 janvier 2022, Schlachthaus Theatre, Berne.

“Fighting” de Shaymaa Shoukry – “Hmadcha” de Taoufiq Izeddiou

“Fighting” de Shaymaa Shoukry © Mostafa Abdel Aty

Focus sur la création artistique dans le monde arabe, programmation du Théâtre Jean Vilar de Vitry, de l’Association Arab Arts Focus de Paris et d’Orient Productions au Caire, en partenariat avec La Briqueterie-CDN du Val-de-Marne et le Studio-Théâtre de Vitry

Ce Focus est né de la rencontre entre Nathalie Huerta, directrice du théâtre Jean Vilar à Vitry, et Ahmed El Attar, directeur du festival D’Caf/ Downtown Contemporary Arts Festival, au Caire. Ensemble, ils ont élaboré une semaine multidisciplinaire sur la création artistique dans le monde arabe, du 6 au 14 novembre, en présence d’artistes d’Égypte, du Liban, du Maroc, de Palestine et de Syrie. Nous présentons ici deux des chorégraphies programmées dans ce cadre.

Fighting, de la danseuse et chorégraphe Shaymaa Shoukry (Égypte) en duo avec Mohamed Fouad. C’est par un prélude musical que débute le spectacle, avec un joueur de oud d’abord, seul en scène, suivi d’une violoncelliste jouant sur instrument électrique. Tous deux dialoguent et se répondent par instruments interposés, puis ils les posent et entrent dans la danse, car ces musiciens sont aussi les danseurs interprètes de la pièce Fighting. La bande-son prend alors le relais et ils s’élancent dans leur combat. Côte à côte et dans une atmosphère crépusculaire, ils accomplissent des mouvements de lutte, répétitifs, dans l’énergie et l’acharnement de l’entraînement. Puis les choses s’accélèrent, ils développent une sorte de combat-karaté plus provocateur, multiplient les attaques, les positions et projections, les glissements et déplacements. L’espace qui les sépare enfin se réduit, les bras s’étendent, ils s’effleurent, se touchent en d’harmonieux mouvements et combattent au sol en un corps-à-corps. De guerrière, la parade devient sensualité. Des bruits d’avion s’amplifient, ils se plaquent au sol comme si la violence d’une hélice d’hélicoptère les y avait cloués. Ils restent côte à côte et se perdent dans le noir.

Artiste multidisciplinaire formée dans le domaine des arts visuels, Shaymaa Shoukry partage sa passion entre la chorégraphie, la performance et l’art vidéo. Sa recherche sur l’origine du mouvement, sa répétition et sa transformation telle que présentée dans Fighting, montre une parfaite maîtrise du mouvement et une intéressante réflexion sur la résolution des conflits intérieurs. De l’énergie, un travail rigoureux, une composition sensible avec l’espace et la lumière, ajouté à une belle complicité de travail avec son partenaire, Mohamed Fouad, offrent une mêlée chorégraphique fluide où les corps se mesurent l’un à l’autre et où tous deux sont à égalité des forces et de la grâce.

Hmadcha/ Hors du monde, de la compagnie Anania, chorégraphie Taoufiq Izeddiou (Maroc). Architecte de formation, Taoufiq Izeddiou œuvre depuis une vingtaine d’années dans le domaine chorégraphique après avoir fondé la première compagnie de danse contemporaine au Maroc, Anania. Pédagogue et directeur artistique du Festival international de danse contemporaine On Marche, il met en place entre 2003 et 2005 la première formation en danse contemporaine, Al Mokhtabar/le Laboratoire, dont seront issus plusieurs danseurs de la compagnie Anania. Il travaille entre le Maroc et la France. Tout enfant, c’est en assistant au rituel de la confrérie des Hmadchas fondée au XVIIe siècle, sorte de système symbolique similaire à celui des Gnawas, qu’il rencontre la notion de spiritualité et de divin – qu’il sépare totalement du religieux -. Ce moment fut pour lui fondateur. Danses et musiques rituelles impriment donc ses chorégraphies liant musique, danse et respiration, dans une quête de la transe. Sa recherche chorégraphique puise dans la transcendance et le dépassement de soi.

Hmadcha de Taoufiq Izeddiou© Abdelmounaim Elallami

Il présente aujourd’hui Hmadcha/ Hors du monde. L’ardeur du soleil illumine un écran curieusement positionné côté jardin, dans la profondeur de la scène. Face à l’écran, de profil pour le public, un premier danseur franchit la diagonale entre ombre et lumière, comme pour l’honorer. Un second puis un troisième danseur, tous torses-nus, portant pantalons noirs entrent dans le rituel. Il y en aura sept, de morphologies différentes, qui déploieront leur énergie jusqu’à la transe. Une grande mobilité des jambes, des solos, duos, trios et mouvements d’ensemble où chacun garde sa singularité, se dessinent comme des cosmogonies. La fin est plus étrange et appelle une forme de rituel carnavalesque, les pantalons retirés sont posés au sol, les danseurs, en short de couleur, s’entourent le visage du tissu noir des pantalons et battent la darbouka. Ils suivent une sorte de personnage sacré, figure-totem qui énonce un texte en langue arabe et donne le rythme. La lumière devient crue. Ils sortent par la salle.

Une huitaine de danseurs redessine ce monde de dépouillement et cherche à faire société sur des rythmes et musiques hétérogènes, allant de l’électroacoustique au piano. Leur énergie déployée est de tous les moments, d’autant après la longue parenthèse de la pandémie ; le chorégraphe s’appuie sur le passé pour parler du présent. Danseur, chorégraphe et formateur, le travail de Taoufiq Izeddiou et de son Ensemble s’inscrit dans une sorte de résistance. « Quelque chose se prépare. En cadence ils se pressent. Certains gestes brûlent au-delà du sillon tracé. Ils passeraient pour des égarés en d’autres lieux… » écrit-il, et l’on pense à Rimbaud dans Une Saison en enfer. 

Brigitte Rémer, le 20 novembre 2021

Vu le 10 novembre 2021, à la Briqueterie de Vitry-sur-Seine : Fighting, chorégraphie Shaymaa Shoukry – danseurs : Shaymaa Shoukry et Mohamed Fouad – collaboration chorégraphique Mohamed Fouad – composition musicale Ahmed Saleh – création lumières et directeur technique Saber El Sayed – production Ahmed el Attar.

Vu le 10 novembre 2021, au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine : Hmadcha, chorégraphe Taoufiq Izeddiou – danseurs : Saïd Ali Elmoumen, Abdelmounim El Alami, Saïd El Haddaji, Moad Haddadi, Taoufiq Izeddiou, Mohamed Lamqayssi, Marouane Mezouar, Hassan Oumzili – création lumière Ivan Mathis – création son Mohamed Lamqayssi, Saïd Ali Elmoumen,avec le regard de Taoufiq Izeddiou  – costumes Zakaria Aït Elmoumen – documentaliste Aziz Bouyabrine – Production déléguée au Maroc Barbara Perraud – En tournée : fin novembre 2021 Biennale Danse Afrique (festival On Marche) à Marrakech, 7 avril 2022 à Chateauvallon-Liberté Scène Nationale de Toulon, 8 et 9 avril 2022 Théâtre du Bois de l’Aune à Aix-en-Provence, Automne 2022 Le Tangram Scène Nationale d’Evreux.

Informations :  Théâtre Jean Vilar de Vitry,1 place Jean Vilar, 94400. Vitry-sur-Seine – tél. : 01 55 53 10 60 – Site www.theatrejeanvilar.com

Poésies d’Afriquia

© MC93

Conception et mise en espace Ahmed El Attar, avec Teymour El Attar, à la MC93 Bobigny Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, dans le cadre du Quartier général Ouagadougou/Le Caire/Bobigny et de la saison Africa2020.

Au cœur des interactions artistiques qui se tissent dans le cadre de la MC93 Bobigny,  Ahmed El Attar met en forme et en espace les écritures de onze poètes africains issus de sept pays différents. Singulière, sa démarche s’inscrit dans un dialogue avec son fils, Teymour El Attar, ce qui lui donne une profondeur et une émotion particulières. Entre performance théâtrale et paysage poétique aux contours souvent politiques, les textes sont ponctués d’une musique électronique, création originale de Ramsi Lehner, assis au pupitre côté cour.

Construit en trois parties le spectacle devient arabesque par le geste fluide de mise en scène. Teymour El Attar porte la poésie avec évidence et subtilité, s’empare magnifiquement des textes issus d’univers variés et habite le plateau de sa présence, fragile et forte comme la poésie. « Conserver cette cohésion dramaturgique et permettre la structure d’une expression précise, sans cimenter la sensibilité des textes ou de l’interprète, est pour éviter ainsi un fonctionnement descriptif ou démonstratif. Pour l’interprète, Teymour El-Attar, j’ai préféré trouver une forme d’expertise naïve dépendant davantage de la puissance des textes beaucoup plus que de la technique. Et donc de laisser les textes s’exprimer sans en forcer le sens » affirme Ahmed El-Attar interviewé par Névine Lameï dans Al-Ahram Hebdo, le 21 avril 2021.

Ainsi des différents points d’Afrique, on entend : J’ai de la mémoire, du poète guinéen Camara Sikhe qui fut aussi un homme politique dans son pays et écrivit une poésie engagée. Il évoque la mémoire longue par ces mots, simples et vibrants, « Je n’ai pas oublié… » La Traversée, écrite par le poète, essayiste et professeur d’université Robert Hayden (1913/1980) premier Afro-Américain à être honoré du titre de poète lauré, évoque les voyages d’exilés à certains moments  « fous de soif » et Couleurs, de Malcolm de Chazal, mauricien, (1902/1981) transmet une vision prophétique autant que poétique du monde.

Trois poèmes égyptiens, dont le célèbre Ne te réconcilie pas… de Amal Donkol (1940/1983) devenu comme un cri à travers le monde arabe : une première fois au moment des accords de Camp David, comme appel au Président Sadate pour ne pas traiter avec Israël, puis revu à la lumière des révoltes de 2011 pour ne rien lâcher face aux dirigeants totalitaires. Teymour El Attar prononce ce texte avec clarté et intensité, devant un micro,  comme on le ferait d’un discours politique. La Chaussure, du poète engagé, Naguib Serrour (1932/1978) dont certains écrits ont été interdits, évoque les drames de l’humanité : « Je suis le fils de la misère… » et l’acteur quitte tout naturellement ses souliers en énonçant ces tragédies. Orient de Biram El Tounsi (1893/1961), poète et compositeur égyptien originaire de Tunisie qui, avant d’écrire de nombreuses chansons pour Oum Kalthoum eut du mal à trouver sa place. Il utilise différentes formes poétiques dont la satire y compris contre le pouvoir. Le philosophe Abbas Mahmoud Al-Akkad disait de lui qu’il était « un génie, une source intarissable des arts populaires, en composition, en chant et en interprétation. »

La poésie camerounaise occupe une place de choix dans les lettres africaines, Teymour El Attar en fait entendre deux : La couleur n’a pas d’yeux de Jean-Paul Nyunai et un poème bamiléké transmis par Lagrave et Fouda, Un père bénit son fils qui part, qui prend ici une signification forte dans le dialogue Ahmed/Teymour. La fierté du père transmise par le fils, assis en tailleur tel un conteur : « Va bien ton chemin, mon fils… Tu seras l’eau qui traverse les rochers. Écoute plus souvent, entends la voix de l’eau » Et le fils de s’inquiéter : « Est-ce bien là mon père ? »

Le Sénégal est aussi représenté par deux poètes : Birago Diop, avec Souffles. « Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots, C’est le Souffle des Ancêtres morts, Qui ne sont pas partis, Qui ne sont pas sous la Terre, Qui ne sont pas morts. Ceux qui sont morts ne sont jamais partis… » Et David Diop, (1927/1961) qui se reconnaît dans le mouvement culturel de la négritude, livre un superbe poème, Afrique, mon Afrique, clôturant le spectacle : « Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales, Afrique que chante ma grand-mère au bord de son fleuve lointain, je ne t’ai jamais connue mais mon regard est plein de ton sang. »

Figure majeure du théâtre égyptien, on connaît Ahmed El Attar en tant que fondateur en 2012 et directeur du Festival D-Caf (Downtown Contemporary Arts Festival) au Caire, puis, en 2014 de The Arab Art Focus, un lieu de formation et de résidence pour les arts du spectacle. En tant que metteur en scène on a vu ses spectacles en France dans les grands festivals et lieux de diffusion comme autant de chroniques de la vie sociale égyptienne, société devant laquelle il tend un miroir. On se souvient notamment de On The Importance of Being an Arab en 2014, à partir de ses conversations téléphoniques enregistrées, menant à une réflexion sur sa ville, Le Caire et sur le théâtre ; The Last Supper présenté en 2015 au Festival d’Automne, une famille bourgeoise cairote rassemblée autour d’un dîner familial et derrière leurs conversations évoque la vacuité de l’élite économique ; Avant la Révolution, créé en 2017, repris cette année à Bobigny dans ce même cadre du « QG Ouagadougou/Le Caire/Bobigny », duo d’acteurs dans un dialogue ininterrompu sur les vingt années précédant le soulèvement de 2011 ; Mama, en 2018, rapports de force entre les femmes de la maison dans une famille aisée égyptienne autour de l’éducation des fils, et qui parle de la condition de la femme en Égypte et dans le monde arabe.

Les Poésies d’Afriquia sont comme un nouvel alphabet dans le parcours du metteur en scène et l’acteur en solo, Teymour El Attar, dessine l’espace de ces identités fêlées avec beaucoup de justesse et de profondeur. Il porte ces mots de vertige et d’absurde parfois, de vie et de poésie, avec une grande densité et beaucoup d’élégance.

Brigitte Rémer, le 13 juillet 2021

Avec Teymour El Attar – musique Ramsi Lehner – lumière Saber El Sayed. Production Orient productions, MC93/Maison de la culture de Bobigny – avec le soutien de Studio Emad Eddin Foundation et Association Arab Arts Focus – Les poèmes égyptiens sont traduits de l’arabe par Stéphanie Dujols.

Du 1er au 3 juillet 2021 à la MC93 Bobigny Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine. 93000. Bobigny – tél. : 01 41 60 72 72 – site : mc93.com

Mama

© Christophe Raynaud de Lage

Texte et mise en scène Ahmed El Attar – Spectacle en langue arabe, surtitré en français – Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

Mama raconte, par les quatorze acteurs présents sur scène, l’histoire d’une famille de la bourgeoisie égyptienne. Un grand canapé central type copie du XVIIIème résume l’affrontement de trois générations où les petits drames ont valeur de grands scénarios. Dans une scénographie de Hussein Baydoun, l’espace est cerné de barres métalliques, symbole de piège ou bien d’enfermement.

En scène, côté cour, la grand-mère, (Mehna El Batrawy) calée dans son fauteuil et qui n’en bouge guère, rivalisant d’hostilité avec sa belle-fille, (Nanda Mohamad, présente dans les précédents spectacles d’Ahmed El Attar). Côté jardin, le grand-père (Boutros Boutros-Ghali dit Piso) calé dans le sien, son fils et ses deux enfants en mouvement de yoyo entre les deux pôles, masculin et féminin. Les tensions familiales s’expriment sur la scène entre grand-mère et belle- fille, entre hommes et femmes, entre les deux enfants, entre la famille et les serviteurs.

Du canapé où s’expriment les conflits d’une société en crise, la famille s’embourbe dans les clichés d’un monde machiste et de conflits de génération. La question posée par Ahmed El Attar sur un ton de comédie sociale touche à l’obsession misogyne qui envahit, sournoisement ou non, les rapports masculin/féminin de la société égyptienne. Il cherche à en démonter le mécanisme en montrant que les femmes, premières victimes de cette oppression masculine, en seraient aussi la source : chargées de l’éducation des enfants, elles adulent leurs fils et les aident à acquérir très tôt ce sentiment de toute-puissance, de telle manière qu’elles sont elles-mêmes signataires de la reproduction du système. Le discours d’Ahmed El Attar pourtant n’est jamais frontal il suit les méandres de la vie familiale quotidienne, comme si de rien n’était. Les séquences se succèdent de manière enlevée par des acteurs bien dirigés, petits morceaux de vie teintés d’humour et de sarcasmes, au gré de la courbe des guerres intestines et comme un Jeu des sept familles. Je demande… la grand-mère… !

Auteur, metteur en scène et opérateur culturel parfaitement francophone, Ahmed El Attar travaille au Caire et dirige le Studio Emad Eddine où il s’investit aussi dans la formation des comédiens et des acteurs culturels. A travers le Théâtre El-Falaki qu’il dirige et le Festival de théâtre indépendant, Downtown Contemporary Arts Festival D’Caf qu’il programme chaque année dans la ville, il crée, par son franc-parler, une dynamique théâtrale et des synergies auprès des jeunes artistes, et partage avec eux l’espace artistique. Dans son pays, l’Égypte, où plus de 60% de la population a moins de vingt-cinq ans et où les rapports de classe et de pouvoir se sont figés, ces bouteilles jetées à la mer, chargées de dérision, sont salutaires.

Après avoir travaillé en 2014 dans The Last Supper sur la figure du père – celui qui, dans le Monde Arabe, a le pouvoir – El Attar poursuit sa saga familiale avec la figure de la mère, première actrice d’une normalité confisquée entre les hommes et les femmes. Il pose la question de la responsabilité.

Brigitte Rémer, le 10 novembre 2018

Avec Belal Mostafa, Boutros Boutros-Ghali, Dalia Ramzi, Hadeer Moustafa, Heba Rifaat, Menha El Batrawy, Menna El Touny, Mohamed Hatem, Mona Soliman, Nanda Mohammad, Noha El Kholy, Ramsi Lehner, Seif Safwat, Teymour El Attar – Musique et vidéo Hassan Khan – Décor et costumes Hussein Baydoun – Lumière Charlie Astrom – Production Henri Jules Julien et Production Orient productions, Temple independant Theater Company

Après sa création au Festival d’Avignon 2018, la pièce a poursuivi sa route au Théâtre de Choisy-le-Roi le 9 octobre, à la MC 93 du 11 au 14 octobre, au TNB de Rennes. Site : www.festival-automne.com

Avant la Révolution

© Mostafa Abdel Aty

Texte et mise en scène Ahmed El Attar – Interprétation Nanda Mohammad, Ramsi Lehner, au Tarmac – Le spectacle a été créé au théâtre Rawabet du Caire, en octobre 2017.

Que se passait-il en Egypte avant le 25 janvier 2011, date d’un soulèvement populaire sans précédent ayant mené à la démission du président Hosni Moubarak, le 11 février ? Deux personnages, en équilibre sur des charbons ardents ou sur une planche à clous, sorte de fakirs hyper concentrés lisent, non pas l’avenir mais le passé proche, en une litanie d’injustices, d’oppressions et de violences énoncées qui s’entrechoquent les unes aux autres mêlant les territoires du privé aux exactions publiques.

Des pas se rapprochent comme du fond d’une prison, qui s’amplifient pour devenir des coups répétés. Les deux acteurs à la forte présence elle, Nanda Mohammad, lui, Ramsi Lehner, tous deux chemises blanches et pantalons aux bretelles rouges, en immobilité forcée face public, semblent pris dans les glaces. Ils sont à l’image des films muets et expriment ici avec une forte intensité et charge émotionnelle qui passe dans la salle, ce qu’on ne saurait exprimer hors de la scène dans un contexte égyptien sous contrôle.

La démarche d’Ahmed El Attar, élaborateur du projet, rédacteur et metteur en scène, est courageuse. Il a puisé dans la presse et les médias, dans les chansons et les feuilletons, dans les discours et les slogans, dans l’épilogue des prières du vendredi, l’indélébile de situations toutes plus tragiques les unes que les autres, pour inscrire au fronton du théâtre – ici via le surtitrage – les actes qui ont grossi le fleuve, menant à la dérive après l’explosion de janvier 2011. Il y mélange le personnel et le collectif, la réalité et la fiction, il n’y a pas, en apparence, de tracé rationnel, mais un copié collé assourdissant.

On connaît le travail d’Ahmed El Attar en France où il a déjà présenté On the importance of being an Arab en 2009 et The Last super entre autre au Festival d’Avignon et au Festival d’Automne, en 2015. Le metteur en scène est un actif entrepreneur culturel, il a fondé au Caire plusieurs structures : le Studio Emad Eddine pour la formation des artistes et médiateurs culturels et pour accompagner les projets indépendants ; Orient Productions pour produire et coproduire les spectacles et événements ; sa compagnie indépendante, Temple. Par ailleurs il dirige le Théâtre El Falaki au Caire relevant de l’Université Américaine où il a créé le Festival D-CAF – Downtown Contemporary Arts Festival – carrefour entre le théâtre égyptien, le théâtre du Moyen-Orient et au-delà la création internationale.

« Le 8 juin 1992, l’écrivain égyptien Farag Foda sortait de son bureau, rue Asmaa Fahmy à Héliopolis pour prendre sa voiture…. » Il n’est vraisemblablement jamais arrivé.

Brigitte Rémer, le 5 décembre 2017

Avec Nanda Mohammad et Ramsi Lehner – musique Hassan Khan – décor et costumes Hussein Baydoun – création lumières Charlie Aström – production Henri Jules Julien.

Du 28 novembre au 2 décembre, au Tarmac, 159 avenue Gambetta. 75020 – Tél. : 01 43 64 80 80. Site : www. letarmac.fr – En tournée à Annecy-Bonlieu scène nationale, les 6 et 7 décembre – à la Filature de Mulhouse, les 24 et 25 janvier 2018 – à la Kultuurfactorij Monty d’Anvers les 26 et 27 janvier – au Caire Festival D-Caf, du 22 au 25 mars.